Changement d’ampoule
Les découvertes scientifiques ne sont pas toujours celles que l’on attend. Elles n’arrivent d’ailleurs pas toujours au lieu, ni au moment, que l’on aurait estimés les plus probables.
Le récit ci-dessous, nous vous en faisons part pour vous sensibiliser à la crainte terrible que nous éprouvons pour demain. Vous remarquerez en effet que notre situation n’a fait que grimper en absurdité, et que cette escalade n’a pas encore l’air d’avoir atteint son sommet.
Revenons au début du mois de février. C’est là que tout commença.
En périphérie de Jussailles, une ville tranquille de France, deux riches propriétaires terriens étaient les rois du monde. Ils possédaient, réunis, toutes les exploitations des environs. L’un d’entre eux, Fernier Cabaliste (Fernier est son prénom), était surnommé Roi Bovin. Comme cette appellation l’indique, il était célèbre pour ses élevages de bœufs et de vaches laitières. Quant à l’autre, Gustavette Mordesuie, le peuple la nommait Reine Volaille. Tout ce qui avait des ailes et des plumes relevait de son royaume.
Un petit mot sur le passé de Gustavette Mordesuie. Bien avant d’établir ce qui deviendrait son empire, elle travaillait simplement dans la ferme de ses parents. Elle y était responsable des dindes qu’elle chouchoutait à longueur de journées. Les animaux le lui rendaient bien : heureux comme tout des caresses de leur maîtresse, ils lui témoignaient une réelle affection, qui se manifestait par d’attendrissants coups de bec lancés à ses jambes ou à son visage. Les cuisses et les ailes que l’on tirait de ces bêtes, quand venait l’heure de l’abattage, étaient d’une tendreté absolue, et il ne fallait même pas farcir le blanc pour l’élever au rang de repas de fête.
Très vite, les dindes de Gustavette valurent de l’or dans les grandes surfaces, les revendeurs ayant bien compris que la qualité de leur chair surpassait celle de la concurrence. Gustavette, qui ne manquait pas de sens des affaires, sut tirer parti de cette situation. Bientôt la ferme concentra l’ensemble de ses efforts dans l’élevage de poulets, de poulardes, de dindes et de pintades. Les bénéfices plurent sur la famille Mordesuie, dont le modeste fief se transforma en une entreprise nationale. Les terrains voisins furent peu à peu rachetés et l’emprise de Reine Volaille sur la région prit une envergure sans précédent.
Malgré le passage des années, les soins prodigués aux volailles par la firme de Gustavette demeurèrent d’une humanité douce et empathique. On caressait les bêtes, on leur parlait délicatement, on les coiffait même afin qu’elles se sentent toujours belles et dignes.
Aussi fut-ce affectée d’une émotion sincère que Gustavette elle-même, toujours disponible dans ce genre de situation, amena, un mardi de ce début de mois de février, une poule souffrante auprès du vétérinaire attitré de l’exploitation. Ce dernier, un jeune prodige alsacien du nom de Werner, examina la bête.
— Qu’a-t-elle, cette pauvre poule ? demanda-t-il.
— J’espère justement que tu pourras me le dire, répondit la directrice du tac au tac. D’après les éleveuses qui l’ont trouvée, elle geint depuis hier. On l’a retournée dans tous les sens, mais aucune blessure, pas même une éraflure !
Werner confirma ce premier diagnostic : rien, absolument rien, ne semblait sortir de l’ordinaire chez le petit animal. Où qu’il appuyât, le scientifique ne rencontra aucune résistance, et pas un seul mouvement n’eut l’air d’amplifier la souffrance du poulet.
Jusqu’à ce que…
Bizarrement, la créature se plaignait davantage quand on lui palpait l’intérieur du bec. Werner n’avait jamais rien vu de pareil.
— C’est étrange, Madame Mordesuie, mais je vous assure, j’ai comme l’impression qu’il y a là des excroissances nouvelles…
— En quoi est-ce étonnant ? Nous avons bien, en tant qu’humains, des ganglions et des kystes.
— Certes, mais ces ganglions et ces kystes ne sont que rarement aussi nombreux, ou aussi uniformément distribués…
Tout en palpant encore la mâchoire de la bête sous toutes les coutures, le médecin émit des onomatopées qu’en toute décence il aurait dû garder pour lui. Les circonstances, cependant, le justifiaient, car il conclut :
— Je pense… Je pense, Madame Mordesuie, que des dents se mettent à pousser dans la boîte à caquetage de cette personne.
Werner était à ce point féru de nature qu’il ne ratait aucune occasion de qualifier les animaux de personnes, de gens ou d’individualités. Inversement, il aimait rappeler que l’homme n’est qu’un animal comme un autre.
— Et cette… personne, dit Gustavette, n’est pas supposée avoir de dents, n’est-ce pas ?
Elle se reprit vite :
— Enfin, je sais bien qu’une volaille n’a pas de dentition ; c’est ce qui nous permet de n’être qu’agréablement pincés, et non mordus, quand elle ferme affectueusement son bec sur notre main.
— Tout à fait. D’où mon étonnement, vous comprenez ?
Le scientifique fournit alors une explication détaillée de l’anatomie supposée d’un gallinacé. Il en déduisit une fois de plus qu’il était tout à fait anormal de trouver gencives et denture dans un bec d’oiseau.
— Les poulets ont peut-être plus hérité du dinosaure que l’on pourrait le croire, lui fit remarquer Reine Volaille.
— Ce que vous dites n’est sans doute pas si loin de la réalité, acquiesça Werner.
Le lendemain, un coq se leva du mauvais pied. Son cocorico matinal fut un fiasco ; il hurla tant que le diable lui-même n’aurait pu se retenir de voler à son secours. L’animal fut amené au laboratoire de Werner. Celui-ci l’ausculta et arriva exactement à la même conclusion que celle de la poule vue la veille : cette « personne », déjà dotée par la nature d’une crête et de faucilles, s’équipait désormais de machines à broyer. Le pauvre éprouvait la même douleur que celle d’un bébé humain dans ses premiers mois, et pour les mêmes raisons. Ce n’étaient cependant pas des dents de lait, mais bien des chicots d’adulte qui menaçaient de lui décorer le palais et d’éroder sa langue.
La stupeur du docteur fut substantielle. Ce sentiment était comparable à celui que pourrait éprouver un médecin généraliste si on lui présentait quelqu’un dont, au lieu d’une barbichette, le menton était couvert de barbillons naissants.
Le lendemain, deux nouveaux cas se présentèrent, dont une dinde ; puis ce furent quatre, sept, treize, dix-huit animaux que l’on amena au vétérinaire. Au bout d’un moment, il ne vérifiait même plus ; il reconnaissait en un instant, notamment aux cris émis, les symptômes d’une telle poussée dentaire.
Une semaine plus tard, les dents du patient zéro avaient bien poussé. La douleur était encore présente car, sitôt que l’on approchait la main de son bec, l’oiseau, qui avait pourtant toujours vécu sans un grain d’agressivité, en mordait les doigts sans ménagement. L’on croisait à présent dans le domaine de Reine Volaille des spécimens qui mâchouillaient des bâtons, des pieds de chaises ou des échelles, à l’instar de chiots incapables de se faire les dents sans faire autant de bêtises.
Werner n’avait pas perdu le nord : dès le premier jour, il s’était attelé à l’écriture d’un article scientifique, développant les détails de cette curiosité fascinante. Comme tout bon chercheur, il associa son nom à des événements relevant pourtant de la plus pure sérendipité. Voilà qu’à présent, son papier faisait le tour de la Toile.
Quant à Gustavette, elle s’employait à communiquer cette découverte au monde profane. Elle décida même de renommer l’entreprise « La Poule Dentée », clin d’œil commercial à la singularité née on-ne-sait-comment dans ses élevages. Au fil du mois de février, les spécimens dotés de dents se retrouvaient sur les étals du dimanche et dans les rayons des supermarchés. En réalité, ils étaient souvent vendus avant même de pouvoir être arborés sur les comptoirs. La critique estima que les poulets de Reine Volaille étaient encore meilleurs qu’à l’accoutumée.
Ayant, comme tout le monde, eu vent de cette étrange affaire, Fernier Cabaliste n’en crut pas un mot.
— C’est un coup commercial, disait-il à tous vents – un coup injuste. Le jour où l’un de mes veaux perd ses dents, on criera à l’anomalie, et les clients nous fuiront comme la peste. En revanche, inventez des quenottes à une cocotte, et c’est l’affluence de curieux.
Reine Volaille fit aussitôt un geste de bonne volonté : elle invita Roi Bovin à constater par lui-même le phénomène dont il mettait l’origine en doute. Il put alors vérifier que de fait, les protégées ailées (et vivantes) de sa rivale avaient toutes une dentition. Les stades de poussée variés, les pleurs des pauvres gallinacés, leur tendance à ronger le moindre bout de bois, tout cela convainquit Fernier de la véracité des dires de sa concurrente. Bon joueur, il publia, sur ses réseaux sociaux, une vidéo dans laquelle il invalidait entièrement ses accusations passées. Ces poulardes, ces pintades, tous ces bestiaux avaient les dents qui poussaient, c’était sûr, certain et vérifié. Pour apaiser les cœurs, Cabaliste rappela à ses abonnés que de toute manière, la concurrence entre les deux monarques avait toujours été toute relative, la plupart des omnivores parmi nous choisissant simplement d’alterner les viandes de mammifères et d’oiseaux. Il serra la main à Gustavette en s’en allant, et tous deux se souhaitèrent « bonne chance » dans la poursuite de leurs affaires respectives.
Que Roi Bovin lui-même confirme la véracité de ce phénomène biologique, et qu’il le fit par-dessus le marché dans une vidéo au cours de laquelle il s’amusait à compter les dents constituant, outre les os et une traînée de sauce samouraï, les seuls restes de son assiette gourmande : cela acheva de convaincre l’entièreté du public, même les sceptiques, que les trouvailles scientifiques de Werner étaient avérées.
Voilà une histoire qui se serait arrêtée là sans le spectacle que Cabaliste s’apprêtait à découvrir en rentrant à son domicile.
Dans sa voiture, déjà, il s’était étonné du nombre d’ambulances et de patrouilles de police dépêchées dans les environs. À un moment, il avait aperçu une maison en feu dont une équipe de pompiers tentait désespérément de sauvegarder l’un ou l’autre mur porteur. En outre, il manqua de renverser un piéton lancé à toute allure sur la voirie.
Comme toujours, Fernier rangea son véhicule devant chez lui. Puis il ouvrit la porte de sa maison.
À l’intérieur, il découvrit sa femme, Cassandre, dans la cuisine, la tête dans l’évier, qui était rempli d’un liquide mauve. Quand elle aperçut son mari, elle se releva. Il fut alors évident que ses cheveux, d’ordinaire grisonnants, étaient à présent violets par l’application d’une teinture chimique étrange.
Il faut savoir qu’en temps normal, Cassandre, au même titre que son époux, ne jurait que par la nature en toute chose ; elle n’aurait altéré la couleur de ses cheveux pour rien au monde.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit un Fernier inquiet.
Sans lui répondre, sa bien-aimée attrapa un kit de maquillage et entreprit de vernir ses ongles – encore une attitude dont Cabaliste ne s’attendait pas à être le témoin de son vivant.
Interloqué, l’entrepreneur se dirigea vers la chambre de sa fille, Juliette ; peut-être celle-ci pourrait-elle expliquer les agissements incompréhensibles de sa mère ?
Dans le couloir, il entendit des notes différentes, émises par un instrument à vent. Il frappa à la porte de Juliette, et la musique s’arrêta, le temps qu’elle lui dise :
— Entre !
Il découvrit, avec stupeur, que tout était parfaitement rangé (pas une chaussette au sol, pas une cannette de soda sur le bureau !) et que Juliette jouait, pour la première fois en dix ans, de la flûte traversière !
— Bon Dieu, lâcha-t-il. Qu’est-ce qui m’arrive…
Elle ne se retourna même pas. Elle poursuivit la lecture de sa partition, imperturbable. Il n’en revenait pas.
— Juliette… ? Juliette ?!
— Oui, papa ? finit-elle par soupirer en lâchant son instrument.
— Depuis quand tu…
— Oh, depuis une heure ou deux.
— Mais… Je ne comprends pas… Tu as abandonné la flûte malgré tous nos encouragements. Dès qu’on te demande si tu as l’intention de reprendre la musique, tu nous dis que tu recommenceras quand les pou…
Le franc tomba chez Fernier. Juliette avait cette fâcheuse manie de remettre les choses à plus tard, au jour où les poules auraient des dents.
— Que je sois maudit ! sursauta Cabaliste.
La fille tenait cette expression de sa maman. Cette dernière l’employait à tout va :
— Je me teindrai les cheveux quand les poules auront des dents.
Ou encore :
— Je me ferai les ongles quand les poules auront des dents.
Quant à Fernier, il n’avait jamais aimé les promesses en l’air. Il n’employait donc jamais cette tournure, à laquelle il préférait des formulations bovines telles que « Qui vole un œuf, vole un bœuf » ou « Prendre le taureau par les cornes ».
Une parole est une parole, les femmes de la maison l’avaient bien compris. Après la flûte, Juliette accepta de poser avec ses parents pour une photo de famille – ce qui jusqu’alors avait systématiquement été remis à plus tard (voire à jamais) par cette formule de malheur. Dans le même élan, elle prit son vélo pour rendre visite à sa tante Myriam. Ensuite, elle embrassa un garçon du quartier dont elle avait, il y a des années, refusé les avances.
Pendant ce temps, Cassandre appela ses copines afin de leur dire combien elle les aimait – ce qu’elle avait toujours refusé de faire jusqu’ici parce que cela « ne lui ressemblait pas ». Puis, en fin d’après-midi, elle emmena son époux dans le lit conjugal où une pratique inédite, fermement refusée à son homme pendant des années, fut essayée pour le plus grand plaisir de Fernier.
Après toute cette agitation, la petite famille entendit profiter d’une soirée télé bien méritée. Seul problème : toutes les chaînes avaient remplacé leur programme habituel par un journal parlé exceptionnel. La population, en effet, semblait prise de folie. La francophonie était touchée dans son entièreté. Selon la formule humoristiquement employée par certains journalistes, c’était comme si tous ces hommes et ces femmes avaient changé d’ampoule – dent/poule – en leur for intérieur. Un média canadien poussa ce concept jusqu’à titrer :
« CHANGEMENT D’AMPOULE • Là où brillait auparavant une lumière chaude, règne à présent un néon psychédélique. »
Ainsi, un mécanicien spécialisé dans les mobylettes dépensa toute sa fortune dans la réservation en ligne de prestataires onéreux pour un mariage auquel il s’était toujours fermement opposé. Les élevages canins se retrouvèrent à vendre quatorze chiens à l’heure. Dans un autre registre, plus violent, une barmaid de nature pourtant particulièrement gentille tua son patron de sang-froid, pour la seule raison qu’un jour, ivre, l’une de ses amies lui avait demandé pour rigoler :
— S’il t’exploite tellement, quand est-ce que tu trouveras un moyen de te débarrasser de lui ?
— Oh, tu sais, quand les poules auront des dents !
Ce cas n’était pas isolé : des morts par milliers furent déclarées dans le monde, dont un bon nombre par suicide. Des prêtres se travestirent, des demandes en mariage affluèrent, des guerres furent stoppées sans préavis…
Les nouvelles télévisées étaient d’autant plus alarmantes à l’endroit des services de justice, et cela à deux niveaux. D’un, le système judiciaire s’était instantanément retrouvé amputé de toute une série de juges, d’avocats, d’huissiers, bref, d’acteurs essentiels à son bon fonctionnement et partis respecter des promesses. On aurait dit une période de vacances scolaires. De deux, les tribunaux ne savaient pas sur quel pied danser : la loi prévoit rarement le cas où celles de la nature sont violées. Or, depuis la nuit des temps, l’édentement présumé des oiseaux était demeuré l’un des piliers de notre monde physique.
La jurisprudence finirait par donner raison aux criminels, pour peu qu’ils parviennent à prouver avoir commis leurs actes sous l’influence d’un serment impliquant la dentition des poules.
L’interrogation suivante accaparait les esprits : qu’est-ce qui avait déclenché cette altération de l’ADN des cocottes ? Était-ce l’homme ? le patient zéro ? la nature ? le cosmos ? Qui en avait décidé ? Pour quelle raison ? Comme bien souvent dans le champ de la philosophie, on en fut réduit à la fameuse question de « l’œuf ou la poule ». Certains, d’ailleurs, se demandaient quels drôles d’œufs une poule dentée pouvait bien pondre.
Les mesures prises avec précision par Werner permirent à des études préliminaires de détecter une anomalie dans les graines distribuées par l’entreprise de Gustavette Mordesuie à ses volailles. Ceci permit d’étouffer dans l’œuf, pour ainsi dire, les rumeurs de « mutation spontanée » émises par certains pseudo-scientifiques dans le seul but de faire grimper en flèche leur compteur de vues sur YouTube et sur TikTok.
Le monde tournait étrangement, mais du moins, il tournait. Certes, les supermarchés étaient vides, les avions pleins à craquer de personnes s’étant promis que jamais elles n’iraient découvrir l’autre bout du monde ; quant aux coiffeurs, ils furent nombreux à raser gratis. Les surprises se succédaient, toutes plus loufoques que les précédentes. Il était difficile d’éprouver une quelconque sérénité tant l’on avait constamment la sensation de marcher sur des œufs – pire, des œufs dentés. Il n’empêche qu’un certain ordre fut recouvré dans ce chaos. Au cours du mois de mars, on s’habitua presque à la situation.
Sauf que…
Deux affaires en particulier nous paraissent importantes. Il est impératif que le lecteur en prenne connaissance afin qu’il puisse compatir avec notre fébrilité actuelle.
Le pape, avant tout, le pape. Il y a longtemps, dans une rue de Rome, un pauvre enfant belge appelé Hugolin avait, pour jouer, supplié le chef de l’Église de le sanctifier. Fatiguée par une trop longue fête de Pâques, Sa Sainteté, qui était parfaite francophone, avait déclaré en se laissant aller au péché de pugnacité :
— Je te ferai saint le jour où les poules auront des dents !
Résultat : il y a quelques jours, Hugolin (surnom : Glin) fut canonisé. Abusant avec humour de la situation, l’enfant, devenu homme de peu de foi depuis lors, exigea que l’on s’adresse à lui sous le nom de Saint-Glinglin. La date dédiée à cette absurde figure catholique fut fixée au premier avril, date du refus initial du Saint-Père face à sa demande enfantine. Naturellement, l’on décida que Glinglin serait le saint patron des promesses conditionnelles.
Par ailleurs, il y a quelques années de cela, quelque part en Suisse, un employé syndicaliste avait demandé à son cadre :
— Chef, les collègues et moi aimerions nous organiser autrement. Peut-on modifier notre contrat de telle manière qu’une semaine ne soit pas constituée de cinq jours de travail, mais bien de vingt, et que ces jours ouvrés ne soient pas suivis de deux, mais bien de huit, neuf, dix ou onze jours de week-end, selon le mois ? Ainsi, nous aurions quatre lundis, quatre mardis, quatre mercredis, quatre jeudis, quatre vendredis, puis un nombre variable de samedis et de dimanches. Cela nous permettrait de profiter de suffisamment de journées de congé d’affilée pour réellement « déconnecter ».
Sur le coup, le directeur n’avait jugé ce raisonnement qu’à moitié cohérent. Il ne lui était guère paru bénéfique, à moyen ou à long terme, de s’épuiser à travailler vingt jours sans arrêt chaque mois.
— Ces horaires, avait-il déclaré peu tendrement, vous les aurez le jour où les poules auront des dents.
Nous sommes aujourd’hui le 31 mars. Le nouveau contrat des travailleurs suisses n’entre en vigueur qu’à partir du mois d’avril.
Demain, c’est la semaine des quatre jeudis qui commence.
Demain, c’est la Saint-Glinglin.
Demain, il faudra distinguer les poissons rigolos des nouvelles réalités de la vie.
Nous craignons pour demain.